grou serra architecture

Dans son article, Nicholas Olsberg commence avec une anecdote à propos de Carlo Scarpa, qui commençait tous ses cours en montrant l’art de tailler un crayon, ce qui lui valut d’être expulsé peu de temps après du poste de directeur à l’université de Venise. Le dessin a toujours été en constante évolution dit-il. A partir du XVIIIème siècle, il a suivi les différents courants visuels d’époque, en allant de l’impression, aux couleurs, les montages. Certains architectes ne dessinent pas, mais on remarque tout de suite ceux qui le font, ils développent leur propres approches aux éléments, et à la conception même de l’espace; quoiqu’il en soit, le dessin en architecture demeure une controverse.

Olsberg parle ensuite de l’influence du dessin chez plusieurs architectes. Le dessin peut même modeler l’architecture d’après lui, et que quelque chose d’aussi complexe ne peut être estimé uniquement qu’un outil de travail, mais qu’il engendre la réflexion même de l’architecture. Le dessin n’est pas seulement la représentation d’une architecture inexistante. Dans le cas de John Hejduk ou Peter Eisenman le dessin fait partie intégrante de leur méthode de conception. Encore plus flagrant, le travail d’Aldo Rossi, qui même une fois le bâtiment construit et le projet finit, retourne à la planche à dessin en ré-imaginant les faits, le contexte et les relations de ces œuvres a posteriori.

L’importance du dessin en architecture est ensuite amenée avec toute une série d’exemples tels que les dessins de Hugh Ferriss qui donnaient vie au futur, plutôt que les maquettes de Frank Lloyd Wright ou les croquis du Corbusier. Nicholas Olsberg nous explique qu’un seul dessin de Frank Gehry contient toutes les informations nécessaires à la compréhension du projet de la part de ses maquettistes. Pourtant dans l’essor du mouvement moderne, le dessin perdait du terrain par rapport à d’autres méthodes de représentation, et le désintérêt des praticiens envers le médium se faisait ressentir. Jusqu’à aller à la destruction totale de tous les documents graphiques de recherche et esquisses de chaque projet de la part des géants de l’architecture Skidmore, Owings & Merrill dans les années cinquante. Mais malgré tout, un nombre assez restreint d’architectes continue d’y attacher de l’importance. Richard Meier par exemple, ou encore Tadao Ando qui fut même jusqu’à être dénoncé par le gouvernement japonais pour l’utilisation d’un moyen de représentation aussi personnel plutôt que de favoriser une méthode qui serait plus associable à la notion du peuple. Et c’est justement vers cette idée que l’auteur nous amène; le dessin reste avant tout une activité privée, remplie de personnalité. C’est une logique très différente des approches uniformes du modernisme. Et c’est justement cette personnalité que nous recherchons et que nous aimons dans les dessins. C’est une réfection de la manière de penser des architectes.

Nicholas Olsberg amène ensuite l’autre questionnement de sa pensée; les avancées technologiques et leur répercutions sur la représentation architecturale, sans oublier l’apport de l’informatique à l’architecture. Il donne comme exemple Richard Neutra, ayant passé tout un été à faire des dessins de rendus techniques pour Frank Lloyd Wright, ce qu’il considère comme un détournement de talent. Aujourd’hui, en un clic, tout ce même travail est fait, et plus besoin de refaire tous les calculs et constructions pour une perspective. Il faut apprécier l’apport considérable que l’informatique a eu avant de critiquer les déformations qu’elle a pu engendrer. Il comprend qu’on juge l’ordinateur pour le rôle qu’il a dans la conception architecturale, mais il estime aussi que c’est justement là qu’il a le moins de pouvoir. On le voit dans les croquis de Mies qui sont d’une clarté exceptionnelle; un ordinateur ne pourra jamais esquisser une idée aussi vite qu’un coup de crayon. On ne retrouve pas le caractère ou le sens de l’information qui permet aux dessinateurs, collaborateurs ou encore maquettistes de répondre. Quant à l’uniformité des travaux produits par ordinateur, Olsberg soutient que ce sera bientôt du passé. Une fois que cette nouvelle génération éduquée à l’ordinateur commencera à le mettre à l’épreuve des nouvelles formes de représentations surgiront tels que les gravures de Schinkel ont pu surgir ou les montages de Mies.

L’auteur se demande ensuite si la technologie ne pourrait pas être en train de changer l’architecture de manière encore plus fondamentale; le rapport au temps, et même à la réalité. Nos machines ont maintenant plus de puissance que nos propres cerveaux. Il donne plusieurs exemples de Diller + Scofidio ou la technologie fait part intégrante de l’architecture en intensifiant certains éléments de manière artificielle. Mais Olsberg a du mal à y voir une menace, on retrouvait déjà cette attitude à l’époque des cabinets de curiosités ou on retrouvait cette concentration de sensations, il estime que comme eux, « we’ll simply get over it ».

Aujourd’hui, la représentation en architecture reste un sujet très discuté et avec des avis très tranchés. De manière plus globale quand on parle de la représentation en architecture c’est souvent le cas du dessin à la main versus le travail informatique. Dans les couloirs de toutes les écoles d’architecture le sujet fait polémique. Les enseignants, les élèves, les externes, tous, sans exception, ont quelque chose à contribuer au propos. C’est dire de l’importance accordée au sujet. Et c’est normal, la représentation en architecture fait exactement ça; elle représente l’architecture. C’est le moyen par lequel on communique au regard extérieur. Nos idées seront jugées, et nous-mêmes aussi d’une certaine manière, à travers de cette représentation. Il est tout à fait compréhensible dès lors, de voir l’importance attachée aux méthodes et techniques utilisées dans le domaine architectural. Avec l’apparition de l’ordinateur, c’est un bouleversement sans précédent auquel on assiste. On se pose des questions, on regarde en arrière pour savoir si ce n’était pas mieux avant. Est-ce que l’architecture qui en découle est moins bonne car elle n’a pas été réfléchie au crayon mais à la souris ? Et si aujourd’hui dans un atelier d’architecture on ne retrouve plus dix personnes autour d’un dessin mais bien dix personnes derrière dix ordinateurs la question de la représentation et des outils utilisés est d’autant plus pertinente.

Peter Eisenman est probablement un des cas les plus intéressants à observer dans le domaine de la représentation. Eduqué à l’architecture de parti par Colin Rowe à Cambridge, il s’en est complètement éloigné pour aller jusqu’à inventer une nouvelle façon de faire de l’architecture. Utiliser une formule de base pour tous ces projets; l’évolution diagrammatique. Il n’est plus question de faire une architecture à parti, pour ensuite la représenter. Eisenman fait de la représentation le projet d’architecture. L’évolution logique en dessin, la répétition de motifs géométriques devient architecture. Il fait preuve d’un grand détachement par rapport à la construction, à la réalité. On va jusqu’à confondre sur une photo un de ces bâtiments construits pour une maquette; le diagramme est enfin aboutit. L’architecture paramétrique avant l’heure.

Un autre exemple de représentation qui aura révolutionnée l’architecture se passe d’abord dans les années vingt à New York. Rem Koolhaas l’explique très bien dans son livre New York Délire; l’abstraction architecturale que New York a connu durant sa période Art déco est engendrée d’abord par les dessins d’Hugh Ferriss dans ses rendus architecturaux de la ville. Source d’inspiration pour beaucoup, ses dessins jouent dans l’abstraction de manière telle, qu’ils facilitent l’appropriation par superposition de nos propres idées. C’est une façon de voir la ville qui n’existait pas jusqu’à présent. Sa vision est tellement différente que souvent ce n’est pas du tout ce que les clients eux-mêmes recherchaient. L’adaptation que chaque bâtiment subit quand il passe par la table à dessin de Ferriss est monumentale. Il n’a plus de socle, plus de corniche ni d’ornements. Il fait partie d’un tout, de la ville, en n’étant qu’un bloc énorme parmi tant d’autres. Tout peut s’y passer, et rien à l’extérieur ne laisse prévoir ou deviner quoi. Et pourtant une telle avant-garde n’a pas été réalisée avec les moyens modernes de l’époque, mais à la main, au fusain. Ferriss prouve que tout est possible en matière de dessin à la main, et Koolhaas approuve. La naissance de la modernité, de New York, commence par les dessins abstraits de Ferriss.

Laura Allen, architecte et enseignante à la Bartlett School of Architecture considère le dessin comme bien plus qu’un simple outil d’architecture. Le dessin est une façon de penser l’architecture et pas uniquement de la dessiner, de la représenter. En dessinant, la réflexion est différente, on interagit avec la méthode de construction de manière beaucoup plus directe. À la Bartlett elle trouve que les dessins sortis de logiciels sont dénués de sens dans la phase de recherche architecturale. Et pourtant aujourd’hui, c’est ce qu’elle voit. Les élèves, les futurs architectes, ont déjà perdu cette capacité de réfléchir à la main, le pas a été franchi. La conception se fait maintenant du début à la fin par ordinateur. Par la mise de côté du dessin, c’est toute une partie de la conception qui n’existe plus chez les élèves. Il faudrait aller plus loin dans la réflexion et essayer de comprendre les implications d’un tel changement dans le domaine. Est-ce que les projets s’en trouvent affectés par cette nouvelle façon de concevoir, où dès les premières esquisses on peut déjà s’imaginer travailler dans le détail architectural, un va et vient permit sans difficulté par l’outil informatique. Allen certainement y voit une dégradation dans la réflexion et surtout dans l’architecture de ses élèves.

Les possibilités du dessin à la main ne sont pas à remettre en cause, il fleurit sous toutes ses formes et permet une liberté d’expression incroyable. Mais pour réellement comprendre l’impact de la représentation et le rôle du dessin dans un cadre plus élargit il ne faut pas uniquement vanter le dessin à la main ou les qualités techniques des nouvelles technologies, comme le fait Olsberg avec l’optimisation du rythme de travail apportée par l’outil informatique. Il ne suffit pas non plus de constater avec chagrin que certaines universités n’utilisent plus du tout l’outil du dessin, car après tout nombreuses sont celles qui s’en servent encore. On parle beaucoup de Peter Eisenman ou Hugh Ferriss comme exemples, ce sont des noms qui ressortent très souvent lorsque le sujet de la représentation en architecture est amené, mais qu’en est-il vraiment de l’impact de ces acteurs dans le monde architectural ? Chercher les différentes fleuraisons du dessin à la main ne suffisent pas à en vanter ses qualités et surtout sa supériorité par rapport aux autres médiums. Il faut regarder la communication architecturale a posteriori et en définir l’impact, pour pouvoir ensuite analyser le rôle des outils utilisés pour ces sujets dont l’importance est prouvée.

Un projet particulièrement marquant du début du XIXème siècle qui a changé beaucoup la perception de l’architecture même et qui par sa force représente le début du modernisme à proprement parler est le projet non construit de Mies van der Rohe pour la Friedrichstraße à Berlin en 1921. De manière très simple, l’architecture reprend le tracé irrégulier de la parcelle sur laquelle le projet devait se trouver et l’extrude verticalement avec un simple mur-rideau de verre. Bien sûr l’idée-même de ce projet est révolutionnaire, c’est ce qui en fait toute sa force et un point de départ de l’ère moderniste. Il faut alors se poser la question de la représentation d’un tel projet. Une fois son importance avérée, on peut se permettre de lancer le débat de la représentation et du rôle qu’elle eut à la communication d’une idée aussi radicale. L’image est connue, très connue. Ce n’est pourtant pas un dessin à la main ni un simple croquis; c’est un photomontage. Est-ce possible d’en tirer une quelconque conclusion ? C’est une question difficile auquel il est probablement impossible de répondre avec certitude. Ceci dit, on peut se poser la question du pourquoi. Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette image-là ? Pourquoi est-ce que l’aube de la plus grande révolution architecturale commence avec ce projet ? Bien sûr une période de gestation existait déjà, avec les apports de la révolution industrielle, notamment Sullivan à Chicago qui met tout en œuvre pour changer le cours de l’histoire, Le Corbusier également, avec ses schémas directeurs de la maison Dom-ino, un système modulable possible grâce au béton armé, invention toute récente. Pourtant ce sera avec le projet de Mies que tout commencera, et la question est : pourquoi ? Il est difficile de croire que la représentation n’y soit pour rien. Bien avant cela, nombreux sont les architectes et rêveurs qui imaginent des bouleversements dans la ville, la construction, l’architecture. Il suffit de regarder les dessins de visionnaires comme Étienne-Louis Boullée pour se rendre compte qu’un changement de paradigme n’est rien de nouveau. Et pourtant Boullée n’aura pas le même impact que Mies, ce sera certes une inspiration, mais il n’ira jamais plus loin. Mies est un architecte qui construit, qui est peut-être prit un peu plus au sérieux lorsqu’il pose un postulat pareil. Mais il y a aussi le photomontage. Un dessin de Boullée, bien que magnifique, la question n’est pas là, reste un dessin à la main. C’est difficile de le voir comme une réalité naissante, une inévitabilité concrète. On le prend dès lors moins au sérieux, on se sent moins concernés par cette idée. Le photomontage à l’inverse, technique encore très jeune à l’époque, invoque une exactitude inconnue jusque-là. C’est une photographie, saisissante de réalité dans laquelle vient s’installer un projet révolutionnaire. L’immersion est directe, puissante, on s’imagine facilement cette tour de verre, elle est là, devant nos propres yeux, dans la rue Friedrichstraße que tous les Berlinois connaissent parfaitement. C’est l’élément déclencheur qu’il faudra pour que la révolution se mette en en marche.

Récemment, une autre figure importante tente de changer les idées préconçues sur ce qu’est l’architecture. Avec son livre S, M, L, XL, Rem Koolhaas réinvente la communication en architecture. Finit le livre classique présentant une architecture de manière uniforme et répétitive. Ici, les dessins, plans et coupes laissent places à des diagrammes, axonométries, graphiques, photomontages et maquettes. Fortement inspiré des Smithsons, figures emblématiques du mouvement post-moderne qui ont remis en cause les acquis du modernisme par leurs représentations totalement nouvelles et des méthodes d’analyse encore jamais faites jusque-là, Koolhaas utilise la communication comme élément porteur du projet. Comme il l’explique, la réflexion derrière le projet est tout aussi importante, et même plus, que la finalité même. La cohérence d’une présentation – encore bien présente chez les Smithsons, est ici complètement remise en question. Le projet d’architecture devient complètement fragmentaire, une série de segments, qui finissent par s’entrecroiser pour faire du projet d’architecture. La même remarque peut être faite à propos du dessin. Il est évident qu’un autre outil était nécessaire pour transmettre un changement aussi radical. Le dessin n’est tout simplement plus suffisant, plus assez précis pour assumer à lui tout seul le rôle de messager. C’est une observation qu’Olsberg ne fait malheureusement pas.

Force est de constater que beaucoup de ces évènements, ou projets qui constituent les avancées en termes d’architecture sont le plus souvent communiqués de façon autre que par le dessin à la main. Olsberg implique une importance du dessin chez certains architectes, sans voir réellement, tout d’abord l’importance de ces architectes, et bien que ce soient des acteurs important dans le milieu ils ne constituent en aucun cas une référence universelle architecturale, mais surtout l’apport du dessin dans un cadre plus global, était-il présent dans les réelles avancées architecturales ? Il n’y a contribué que de manière assez restreinte. Par la suite il estime que les avancées technologiques sont comme toutes celles qui les ont précédées, un simple «saut d’humeur » en quelque sorte, et que ça nous passera comme il le dit, qu’on finira par revenir à une certaine forme de vérité, par le dessin à la main. Or ce n’est pas sous cette forme qu’il faut voir et analyser la question. Il faut d’abord comprendre les réelles avancées qui ont eu lieu en architecture pour ensuite essayer de d’analyser le rôle de la représentation. Il ne suffit pas de regarder un évènement de façon locale et ponctuelle pour en tirer des conclusions. Pourtant Olsberg à raison sur beaucoup de choses, notamment la question du croquis comme communication rapide architecturale; rien – pour l’instant, ne peut le remplacer. On n’arrive pas à rivaliser avec le croquis quand il faut s’exprimer de manière rapide et claire. Son raisonnement à propos de Mies est très juste, et ses croquis sont d’une très grande simplicité et permettent la compréhension de certains éléments de ses projets de manière claire et rapide. Mais en termes d’idée, spatialité, d’architecture, certaines méthodes sont tout simplement mieux adaptées que d’autres. Un simple croquis communique bien la volumétrie, c’est vrai. Mais un collage communique l’essence même de l’architecture de Mies van der Rohe de manière simple, d’une façon qu’un dessin ne pourrait pas. Et dans la globalité des choses, ce sont ses photomontages qui nous intéressent, que nous étudions, analysons. Ses croquis, ayant toutes les qualités qu’ils ont, ne sont pas aussi significatifs en architecture que les collages de Mies van der Rohe. La question du rôle du dessin en architecture est alors posée.



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